Lundi 28 Août 2017, 11:32. Difficile de revenir à la réalité du quotidien. Cime du Pisset, Lac Boréon, Mont Archat, Mont Pépoiri et le Caïre Gros, des noms désormais familiers pour moi, qui ont résonné toute la journée du samedi précédent et qui défilent encore aujourd’hui dans ma tête.
Me voilà parti pour mon objectif de 2017 : le Trail de la Vésubie. Une course de 70 km au départ de Saint Martin Vésubie aux portes du parc national du Mercantour. Avec un profil de 5000 D+, la course va être costaude surtout au vu des températures annoncées pour ce samedi 26 août.
Selon le speaker, nous sommes environ 200 à prendre le départ à 5h du matin sur la place de la mairie de St Martin Vésubie. La température est déjà très douce. Une fois achevé le petit tour du village destiné à étirer le peloton (sic), la mise en bouche démarre par un Kilomètre Vertical à la frontale, direction Baisse de La Palu à 2121 m d’altitude. Le terrain est pentu et particulièrement sec. La poussière vole sous le passage de la caravane. C’est assez sympa de voir défiler les panneaux qui nous indiquent le dénivelé parcouru.
Je suis dans un bon rythme, sans me mettre dans le rouge. Je reste concentré sur mon utilisation des bâtons. L’aurore se lève au fur et à mesure de l’ascension. Quelques photos souvenirs pour immortaliser ce moment à plus de 2000 m d’altitude et je bascule avec le sourire vers la descente qui conduit au premier ravitaillement. Je demande au gars devant moi s’il connaît le coin mais, étant danois, ce sera finalement en anglais que nous communiquerons. Quel bonheur de courir sur ce petit sentier au lever du jour ! Les premières rayons du soleil caressent les plus hautes cimes.
Le premier ravitaillement arrive après 13 km. Un petit stop pour remplir les gourdes et manger quelques cacahuètes et je repars pour la deuxième ascension de la journée : la cime du Pisset et ses 600 D+ sur 3 km. Je suis un groupe de 3 coureurs qui monte sur un bon rythme. Arrivé à 2233 m d’altitude, les signaleurs m’annoncent 15ème. Wahou, Quelle surprise ! La vue est impressionnante sur les alentours. Nous poursuivons notre route par un sentier en balcon qui permet de dérouler les jambes, direction le lac de Boréon et le parc Alpha, où le loup est mis à l’honneur.
Déjà quasiment 4h de course pour seulement 23 km. Je sens que la journée va être longue. D’ailleurs, nous attaquons la montée direction le Mont Archas et ses 2526 m d’altitude. Le parcours est là aussi spectaculaire, la terrible montée est amorcée en file indienne. Je suis un groupe de 5 coureurs emmené par la première féminine qui nous propose de passer devant si le rythme ne nous convient pas. La bonne blague !!! Personne ne répond tellement elle monte rapidement. Je cale dans le milieu de la montée. Un petit stop pour la photo et ce sera la dernière fois que je verrai ce groupe qui va s’envoler et me mettre plus de 2h20 à l’arrivée 😉
Le passage par le refuge des Adus puis par le Col de la Valette des Adus est l’un des passages spectaculaires de la journée. Que c’est beau ! J’en profite pour faire une pause et m’entretenir les pieds avec la Nok car ça commence à chauffer sérieusement dans les chaussures. Le sentier se fait plus technique sur un pierrier qui autrefois laissait place à un glacier. Je croise deux-trois randonneurs qui m’encouragent gentiment. C’est bucolique. La chaleur et la montée commencent à marquer les corps. Heureusement, un lac me permet de tremper la casquette pour rafraîchir la machine. Je m’arrête à l’ombre d’un mélèze pour souffler un peu. Un coureur, arrêté également, me dit qu’il n’a plus de jus. Bref, tout va bien dans le meilleur des mondes… Tout le monde à l’air cuit, du moins lui et moi.
Arrivé au col de La Valette des Adus, je suis accueilli par les encouragements des 2 signaleurs. Sympa. On prend le temps de discuter un peu et surtout de souffler pour moi. Le dernier « raidar » est pour maintenant : 200 D+ » dré dans le pentu » pour arriver au sommet du Mont Archas à 2526 m. Forcément la montée est difficile mais avec le recul, celle-la ne m’a pas paru la pire. En tout cas, l’arrivée au sommet en vaut la peine. Un panorama à 360° s’offre à nous sur le Mercantour, les Alpes du Sud, et peut être même la mer Méditerranée mais, avec les brumes de chaleur, on ne la distingue pas.
La première vraie difficulté est avalée, du moins c’est ce que je pensais…En fait, la montée n’était rien face à la descente vertigineuse qui s’ouvre devant nous. Il va falloir descendre 900m de dénivelé négatif en seulement 2.5 km. Les quadris et les genoux en prennent un sérieux coup. Il est 11h30 et malgré l’altitude, la chaleur commence à être écrasante. Le moindre abreuvoir à vache sert à tremper la casquette pour espérer redescendre la température de la salle des machines. Cette descente interminable s’achève par le passage d’un petit torrent où j’en profite pour me tremper intégralement avant l’arrivée au ravitaillement du Vallon d’Anduébis.
Encore une fois, un bel accueil nous est offert. Je rêve d’eau gazeuse, de coca, d’un sandwich au jambon de pays et surtout, d’une chaise à l’ombre pour me reposer les muscles.
Quelle chaleur dans ce vallon ! Une vraie étuve.
Je regarde ce qu’il y a à manger mais étonnamment je reste dubitatif devant le choix proposé. J’ingurgite une 1/2 bouteille d’eau gazeuse, malheureusement loin d’être fraîche. Finalement, je vais me laisser tenter par du taboulé, qu’on me présente gentiment dans une barquette … » Vous n’auriez pas de l’huile d’olive svp ? » Je souris de la tête de la fille qui doit encore se demander si je ne me crois pas au restaurant en tenue de course. Bien qu’un peu sec, je me force à avaler quelques cuillères. Je ne sais pas combien de temps je suis resté assis sur ma chaise mais j’ai eu le temps le temps d’assister à l’abandon de 4 coureurs sous la pression de la chaleur. Peut être que le panneau visible « prochain ravitaillement 13 km » assorti de l’avertissement : si vous ne vous sentez pas de continuer, arrêtez vous » a semé le doute dans la tête de quelques uns, surtout sachant le gros morceau que nous allons attaquer : le Mont Pépoiri, point culminant du parcours avec ses 2674 m d’altitude.
Je me décide à repartir sous une chaleur accablante. Vite, il faut que je prenne de l’altitude et, pour le coup, je vais être servi : 1100 D+ en moins de 4 km.
A ce moment là, je pointe en 22ème position.
Le chemin monte, monte, monte… direction les Vacheries d’Anduébis.
Je vois au loin mon compagnon danois que j’avais perdu de vue depuis quelques temps. Il semble également dans le dur. Il s’arrête, repars, s’arrête à nouveau. Du coup, on fait le yoyo comme ça sur toute la montée avec des regards échangés. Pas de paroles, mais nous nous comprenons, la difficulté est là. Nous sommes au cœur du challenge. Je tourne en boucle dans ma tête la phrase qui te fait aller loin : » Ti pas-Ti pas « .
Au fur et mesure de notre ascension, les nuages d’altitude font leur apparition et la température se fait plus supportable.
Que cette ascension est longue ! Je m’endors debout. Les bâtons sont mes béquilles. Allez, il ne faut rien lâcher et, coûte que coûte, avancer et se rapprocher du sommet. Deux coureurs me doublent suivis d’une fille, certainement la deuxième féminine. Je suis à l’arrêt. Le temps se gâte. Le vent frais fait son apparition. J’enfile mon coupe vent par peur d’attraper froid au bide, ce qui serait à coup sûr l’épilogue de cette course. L’ami danois a retrouvé l’énergie suffisante pour avancer et se projeter au sommet… Pour mois encore à quelques mètres mais, à l’accoutumée, ce sont souvent les plus difficiles. Le lac Gros en contrebas en forme de cœur ou plutôt de tête de loup indique que l’arrivée est imminente. Je tente le tout pour le tout. J’absorbe un gel, enfin la moitié parce que c’est juste impossible tellement le goût est infect. Après quelques mètres supplémentaires, l’antenne annonçant le sommet et ses 2674 m est enfin visible.
Je suis lessivé. Je demande aux bénévoles si quelqu’un dort dans la tente installée à quelques mètres de nous. Réponse négative. Dommage, je me serais bien laissé tenter par un petit somme d’un quart d’heure.
La 3ème féminine est italienne. Elle arrive devant moi alors que je suis quasiment entrain de m’endormir sur mon bout de caillou, en plein vent. Et, je la vois repartir aussitôt après avoir enfilé son coupe vent. Je prends encore un peu de temps et je me lance pour la grande descente, 8 km pour 700 D-, direction la Colmiane.
Comme me l’avaient dit les signaleurs, la descente est beaucoup moins pentue que celle du Mont Archas, du coup, je retrouve des couleurs. Je dépasse l’italienne avec quelques mots d’encouragement. Une pluie fine a fait son apparition. Le gel fait son effet. La machine est repartie. Ouf, j’ai passé plus de 8 km dans le dur et en montagne 8 km, c’est très, très long !
Étonnamment, je ne croise et ne double personne jusqu’au ravitaillement de la Colmiane. Comme quoi, certains ont récupéré un peu d’énergie. Je passe devant un couple de bénévole qui m’encourage. Je fais un petit stop pour discuter et, à ma plus grande surprise la fille, me dit que j’ai bonne mine comparé à d’autres coureurs qui me précèdent !! Je mesure alors les effets du discours positif et cela finit de me regonfler.
Finalement, j’arrive au ravito de la Colmiane sous les applaudissements… Que c’est bon après ce long moment de doute vécu au sommet du Pépoiri. Je pointe à la 26ème place. Assis, j’en profite pour faire le plein avec, au menu, un petit sandwich jambon-fromage et une 1/2 bouteille d’eau pétillante avalée d’un trait. Pourtant je m’hydrate correctement durant la course, mais l’eau gazeuse me fait un bien fou.
Les bénévoles et organisateurs attendent le 1er concurrent du 145 km qui, parti la veille à 17h de Nice, ne devrait pas tarder à passer. Finalement il terminera avec 1h20 d’avance sur moi. D’ailleurs, je ne me souviens même pas de l’avoir vu passer !!!
Ni une, ni deux, je repars à l’assaut de la dernière grosse difficulté de la journée : le Caïre Gros et ses 2087 m. Pour corser la chose, les gentils organisateurs nous font descendre 200 D- pour remonter quasiment aussi sec 800 D+.
Le soleil est de retour et, à cette heure de l’après midi, il cogne fort ! Heureusement, la montée, raide, se fait en sous-bois pour les 2 tiers.
Je dépasse 4 coureurs dont 1 féminine. Je décide de mettre un coup de collier pour que les poursuivants ne me rattrapent pas. Utopique quand on sait comment j’étais il y a 2 heures et comment je pourrais me retrouver d’ici l’arrivée mais bon, cela me donne un challenge et une motivation supplémentaire.
Encore une rude montée qui fait mal aux jambes, mais la fin est proche et le moral est bon. Je m’arrête quelques fois pour picorer des fraises des bois sauvages. Seul face à moi même, je me motive pour atteindre le col de la Madeleine qui me parait inatteignable dans cette immense forêt de sapins.
Enfin, l’arrivée au col !!! Que c’est bon de voir se profiler le Caïre Gros !!! Je regarde au loin pour voir si j’ai un visuel sur les concurrents qui me précèdent. Mais, rien que des petits points au loin. J’espère seulement que nous ne devons pas traverser la montagne en diagonale pour rejoindre les crêtes. Hélas, mes craintes se vérifient assez vite.
C’est parti. Le sommeil me retombe dessus. Impossible de dormir maintenant. Il faut continuer. J’avance et trottine dès possible. Je vois au loin un coureur, puis deux, puis trois, un joli groupe qui entame la montée sur les crêtes. Je peux peut-être les rattraper ? Je mets du charbon dans la cheminée avec ce seul objectif. Grossière erreur. Je me rapproche mais au prix d’un effort tel que je suis dans l’obligation de stopper et de m’allonger dans l’herbe tellement je suis vanné.
Finalement, je prends le temps d’apprécier cet instant. La vue est magique avec ces montagnes qui s’enchaînent à perte de vue tels des plissements de draps. Rien que pour ce moment là, mais aussi pour tous les autres, je prends conscience de la chance qui m’est offerte de vivre des émotions simples comme celles-ci.
Je repars encore et toujours, direction le pointage au sommet. Un jeune couple m’accueille très gentiment et me renseigne sur la fin du parcours soit 10 km et 1200 D-, dont une grosse descente de 200D- sur 600 mètres jusqu’au col des deux Caïres. Ça couine et ça grince dans les genoux ! Je me fais dépasser par 1 coureur dont la foulée descendante me laisse rêveur. La tête n’est pas loin de capituler. Aïe, vivement le ravito qui se profile dans 3 km mais avant, il faudra redescendre. Je suis tout nauséeux. Cette descente pourtant accessible est difficile à avaler. Je tente le tout pour le tout et essaye en vain de vomir. Bon, ça va vraiment se jouer au courage !!! Je trottine, je marche, je trottine, je marche, …
Voilà enfin le ravitaillement. Je rentre sous la tente. Vite une chaise. Remplissage des gourdes. Eau gazeuse, banane… bof … re-banane … re-bof. Un coureur repart limite, limite. Ça sent la fin. Il fait chaud. Je vois arriver un petit groupe, pourtant je suis incapable de repartir… je suis liquide, trop chaud. Mon corps doit redescendre en température… Eau gazeuse svp !
Et revoilà l’italienne qui ne s’attarde pas longtemps, repartant presque aussitôt. C’est pas bon pour mon moral. Et qui arrive ? Bent, le coureur danois !!! Je me demande encore comment, à cet instant, il peut être derrière moi, alors que la dernière fois où je l’ai vu, il était loin devant moi, au Mont Pépoiri. Mon cerveau a du mal à comprendre. Petit sourire amical. Je lui lance un « see you on the finish line » et je repars.
L’ultime descente s’effectue sur une partie route traumatisante pour les jambes, puis à nouveau sur un single aérien magnifique avec le village d’arrivée de St Martin Vésubie en contrebas.
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Bent, me rejoint et m’entraîne avec lui pour les 5 derniers kilomètres. Je me laisse porter par un bon rythme. Nous dépassons encore 2 coureurs avant l’arrivée toute proche. La satisfaction d’en finir se mêle aux courbatures. Nous entrons avec soulagement dans Saint Martin Vésubie, accueillis comme il se doit par de nombreux spectateurs venus assister à l’arrivée des coureurs.
Je franchis la ligne et partage la joie d’être arrivé avec mes fils et ma compagne après 14h42 de grandes émotions. Je signe une jolie 27ème place sur 102 finishers pour 200 coureurs environ au départ.
Epilogue : Un trail aux petits oignons, à taille humaine, parfaitement organisé et balisé, qui serpente et traverse des endroits magnifiques. Un profil montagnard qui vous en met plein les yeux. Le genre de course qui marque par son coté authentique et sauvage… Bref un grand moment qui me laisse des souvenirs plein la tête.
Sylvain : coureur n° 6100